mercredi 28 septembre 2011

POUR UN DROIT CITOYEN AU SILENCE

Le bruit déborde de partout. Ses ravages suscitent une inquiétude croissante. Un programme international d'études d'impact pour évaluer le bruit dans les océans vient d'être lancé (Le Monde du 3 septembre). Un ouvrage récemment paru, Le Son comme arme, les usages militaires et policiers du son (La Découverte, 180 p., 16 euros), qui décrit
les capacités dévastatrices des impulsions acoustiques, note qu'aujourd'hui "l'espace sonore est sommé de se plier à la raison sécuritaire et commerciale".

Même inquiétude, plus générale, en ce qui concerne notre vie quotidienne. Il a fallu attendre décembre 1992 pour l'inscription dans le code de l'environnement d'une loi relative à la lutte contre le bruit, et quinze ans de plus pour la présentation d'un rapport parlementaire sur la question. L'un des intérêts majeurs de ce dernier réside dans l'attention qu'il accorde à tous les bruits, sans se limiter à l'approche centrée sur les transports et le travail. Soucieux de favoriser "un certain art de vivre ensemble dans un espace sonore harmonieusement partagé", il formule dix-neuf propositions, dont quatre sont consacrées aux bruits de voisinage, cause de souffrance pour 20 % des Français.

Parmi ces nuisances dominent la musique amplifiée, le volume des postes de télévision et de radio, les bruits de chantiers, les aboiements, les pétarades de cyclomoteurs, les conversations la nuit aux terrasses des cafés, qu'il faudrait compléter - inventaire non exhaustif - par les tondeuses, élagueuses, souffleurs de feuilles, par les taille-haies, les éoliennes, les rave-parties, les canons effaroucheurs d'oiseaux à la campagne, par les avions de tourisme, les hélicoptères, les dameuses de neige, les hors-bord, les jet-skis sur les côtes, outre les excès phoniques de toute nature qui polluent l'espace urbain jusqu'à contaminer désormais le silence des hôpitaux et des cliniques.

Les propositions du rapport parlementaire portent pour l'essentiel sur l'information du public, l'éducation des jeunes à l'école, la médiation entre particuliers, avec la création de "référents bruit" dans la police et la gendarmerie, et, globalement, sur l'application de la législation en vigueur. L'expérience prouve que les forces de l'ordre se montrent peu disponibles pour se déplacer à l'occasion de plaintes liées au bruit.

Ces propositions de bon sens déboucheront peut-être sur quelques progrès, mais, dans les faits, elles s'apparentent à des voeux pieux. En témoigne l'échec de la réglementation relative à la neutralisation phonique des engins de chantiers : pour s'en convaincre, il suffit de marcher dans les rues ou d'ouvrir sa fenêtre. Malgré ses qualités, le travail de la mission parlementaire ne changera donc strictement rien, ou pas grand-chose, à la situation actuelle, faute de propositions énergiques.

Le rapporteur le député UMP, Philippe Meunier, plaide pour l'application du principe "pollueur payeur" en matière de pollution sonore comme pour les pollutions industrielles. Il a entièrement raison. Mais alors il faut en tirer, comme pour les pollutions industrielles, toutes les conséquences. Or l'énoncé de ce principe ne s'accompagne d'aucun projet d'action qui soit à la hauteur des ravages observés.

Il est impératif, par exemple, d'oeuvrer avec les industriels à la disparition des engins de jardinage aussi bruyants que polluants. Il en va de même pour les outils de bricolage, et plus encore pour les engins de travaux publics, y compris pour les méthodes de construction d'immeubles et de bâtiments divers.

Ce serait agir dans l'intérêt des ouvriers autant que du voisinage. Autre exemple : qu'attend-on pour engager une vaste opération de sensibilisation du public contre les méfaits du bruit et pour le droit au silence comme on sait le faire pour d'autres causes, sécurité routière, tabac, alcool, etc. ? Le rapport en mentionne la nécessité sans insister. C'est très regrettable. Il eût été également opportun de prévoir un calendrier pour la mise en oeuvre des propositions avancées, qui se limitent finalement à de simples suggestions.
On ne peut plus laisser les nuisances sonores accroître leur emprise. Problème de santé publique, sans aucun doute.

Mais pas seulement : une société esclave du bruit entretient une relation étroite avec la violence. Elle favorise les incivilités tout en aiguisant la véritable souffrance, le plus souvent dédaignée, voire méprisée, des personnes qui subissent ces nuisances. Elle nourrit les antagonismes de la vie courante. La crise financière, avec, à la clé, l'aggravation du chômage et des tensions sociales, ne peut qu'accentuer le phénomène.

En second lieu, la société du bruit va à contre-courant de cette société de la connaissance où se joue d'ores et déjà la prospérité du pays. A titre indicatif, le rapport note la forte entrave que constitue, pour les jeunes qui étudient, un environnement bruyant. La remarque vaut pour toutes les formes de travail intellectuel. Comment concilier l'étude et le raffut, le savoir et le vacarme ?

Enfin, il serait temps qu'on reconnaisse effectivement à chaque citoyen le droit à la tranquillité sonore que lui reconnaît déjà le code de la santé publique, de même que la Constitution lui reconnaît le droit à la sécurité. Aussi est-il indispensable que la lutte contre le bruit figure parmi les enjeux du débat à l'occasion de la prochaine élection présidentielle.

Jean-Michel Delacomptée, écrivain et essayiste

ARTICLE PARU DANS LE MONDE DU 26 SEPTEMBRE 2011

lundi 19 septembre 2011

L'éolien terrestre est un paradis fiscal

« Paradis fiscal » évoque souvent une île tropicale lointaine. Mais il y a
aussi, sur le territoire français, des « paradis fiscaux », c’est-à-dire des
« niches » tellement vastes que des entrepreneurs intéressés trouvent
place pour s’y protéger. Le mouvement "anti-éolien" demande ici leur
démantèlement.



En cette période de rabotage des niches fiscales, il est d'usage pour les partisans de
l'éolien terrestre de considérer que le secteur n'est pas concerné : le soutien à l'éolien, disent-ils, réside dans le tarif du rachat de l'électricité éolienne et la fixation de celui-ci fait l'objet de procédures différentes n'ayant rien à voir avec la revue des « niches ».
Jean-Louis Bal , nouveau président du Syndicat des énergies renouvelables, estime ainsi
que "les entreprises ne seront pas touchées" par le "rabotage" des avantages fiscaux du Grenelle.

Pourquoi ? En dehors du tarif de rachat - d'ailleurs très abusif -, des dispositions fiscales particulières font de l'éolien terrestre un « paradis fiscal ». Il n'est pas délocalisé dans une île exotique : c'est un « paradis franco-français ».

L'examen des mesures gouvernementales auquel vont se livrer les parlementaires ne
doit pas se contenter de raboter les avantages fiscaux consentis aux particuliers
lorsqu'ils procèdent à des travaux favorables au développement durable. Il doit
« déconstruire » totalement l'ensemble de la fiscalité lorsqu'elle est à l'évidence taillée sur mesure pour avantager quelques acteurs économiques.

Par quelques lois, l'Etat a consenti des avantages particuliers à une poignée insignifiante de bénéficiaires (cinq ou six grandes entreprises, quelques dizaines de promoteurs et une infime minorité d'agriculteurs). Il s'agit de véritables lois d'exception quasi-féodales qui instituent de vrais privilèges et dont le poids pèse sur tous les citoyens et apparait encore plus choquant aujourd'hui qu'hier, dans un contexte de traque aux économies budgétaires.

L'articulation entre eux de ces avantages exorbitants du droit commun confère à cette
industrie une rentabilité exceptionnelle qui en fait une bulle spéculative.

La liste des avantages est très longue. On la trouvera dans le rapport que la FED avait
remis à la commission mixte du Grenelle de l'Environnement et qu'elle tient à disposition de chacun. M. François d'Aubert, chargé auprès de Mme Lagarde d'une mission
d'information sur les paradis fiscaux avait dit que l'effet des mesures fiscales dérogatoires dénoncées serait chiffré par le ministère : cela, selon nos informations, a effectivement été fait mais les chiffres n'ont jamais été rendus publics, sans doute parce qu'ils étaient trop éloquents. Peut-être serait-il temps de publier ce chiffrage !

Il y a des dispositions fiscales pour tout le monde.

D'abord à l'usage des promoteurs : elles favorisent la création d'une multiplicité
d'entreprises à capitaux fermés, voire familiaux, avec une incitation accentuée aux
projets en milieu rural. Les cessions peuvent facilement être exonérées d'impôt sur les
plus-values par la création d'une société holding familiale. Les produits de cession
peuvent être replacés dans les mêmes conditions en créant un effet « boule de neige ».
Le coût des éoliennes est totalement déductible du revenu en douze mois alors qu'il
devrait l'être sur la durée de vie estimée à quinze ans.

Il y a des dispositions fiscales à l'usage des agriculteurs, qui favorisent les propriétaires et exploitants fonciers en leur offrant des perspectives de rentes supplémentaires à leur activité agricole. Enfin, il y en a pour les investisseurs non exploitants.

C'est tout cycle financier des éoliennes qui est intégré dans la défiscalisation. La filière éolienne est organisée pour être une économie défiscalisée et spéculative bien plus qu'une filière énergétique

L'importance des aides à cette filière est d'autant plus paradoxale que, pour la France, cette filière est peu créatrice d'emplois, stérile en innovation, commercialement déficitaire et nuisible au potentiel touristique. Elle accentue le déficit budgétaire de l'Etat en asséchant les possibilités de soutien à d'autres pans de l'économie nationale.

Arnaud Casalis - article paru le 15/09/2011 dans la revue économique L'EXPANSION